L’amour que porte Gabrielle envers le Nunavik ne date pas d’hier. C’est pas à pas que cette travailleuse sociale a fait son chemin vers son poste de rêve et son mode de vie de prédilection. Lisez sa passion au travers de cette entrevue.
Gabrielle, votre premier emploi au Nord, c’était en tant que nounou ?
Oui ! Mes débuts au Nord sont quelque peu surprenants. En 2016, j’étais nounou pour une adorable famille dont les parents sont tous deux des employés de la protection de la jeunesse au Centre de santé Inuulitsivik (CSI). J’entendais souvent parler de leur travail et cela m’inspirait !
J’ai été nounou pendant deux ans et demi. En même temps, je terminais mes études à distance. Diplôme en poche, j’étais déchirée de laisser cette famille pour lancer ma carrière. Mais je l’ai fait. J’ai donc commencé à temps partiel comme éducatrice externe et je n’ai pas quitté le Nord depuis. Je suis maintenant spécialiste en activités cliniques.
Il faut dire que je suis complètement tombée en amour avec le Nord. Les paysages, le climat, le rythme de vie, la population, la culture, etc. Je n’avais plus le goût de partir d’ici.
Qu’est-ce que vous faites, en tant que spécialiste d’activités cliniques ?
En tant que spécialiste en activités cliniques, j’appuie les intervenants sur le terrain et je forme les nouveaux. Nous évaluons la situation de l’enfant et de sa famille afin de trouver la meilleure intervention possible, culturellement adaptée, pour répondre aux besoins de l’enfant. Nous trouvons des solutions. Nous devons être créatifs afin de pallier au manque criant de ressources qu’il y a au Nunavik.
Entre nos tâches quotidiennes, les imprévues et les urgences, il n’y a jamais deux journées pareilles ou sans défi. C’est un travail très stimulant et gratifiant.
Une journée typique, cela pourrait ressembler à quoi ?
Une chose est sûre, c’est qu’ici on ne s’ennuie pas ! Une journée typique est remplie de rebondissements, de rencontres avec nos clients, de notes, de rires, de chants (oui, nous chantons parfois dans les voitures en route vers chez un client ou en se déplaçant d’un bureau à un autre pour une rencontre. Il y a des moments forts en émotions positives, et, parfois, c’est plus difficile. Nous créons des liens forts avec nos clients et leur famille, avec nos collègues de travail et ensemble nous traversons ce que le quotidien nous amène
Comment décririez-vous les situations relevant de la protection de la jeunesse, au Nunavik ?
Nous sommes confrontés à toutes sortes de situations. Les familles que nous suivons traversent certaines épreuves et des moments difficiles. Que ce soit au Nunavik, à Québec où à Saint-Alphonse, la DPJ joue un rôle de protection envers les enfants qu’elle suit et ceux-ci proviennent généralement de familles qui ont des défis à relever. Cela peut engendrer une multitude de situations différentes. Généralement, les gens avec qui nous sommes impliqués, une fois qu’ils te connaissaient et te font confiance, sont accueillants, honnêtes, sensibles, forts, souffrants, attachants et ils aiment rire.[KP(3]
Il y a des situations de rencontre avec un enfant, avec ces parents, avec toute la famille élargie. Il y a des interventions en situation d’urgence qui sont nécessaires pour assurer la sécurité de l’enfant. Il y a des accompagnements à toutes sortes de rendez-vous, des visites à domiciles ou à nos bureaux. Jusqu’à ce qu’on ferme le dossier !
Comme notre intervention est très intrusive dans l’intimité familiale des gens, les émotions sont souvent aux rendez-vous. Avec raison, un enfant et/ou son parent ainsi que sa famille élargie peuvent parfois être très portés à collaborer et apprécier nos services, comme ils peuvent parfois ressentir une grande frustration ou de la crainte, etc. Une chose est sûre, les liens qui se forment à travers les interventions et les suivis sont faits forts. Il arrive même que certaines familles soient déçues lorsque nous les informons que leur dossier va fermer.
Est-ce que c’est toujours très occupé ?
Ça vient par vague, je vous dirais. Il y a des semaines plus calmes où nous faisons à peine de temps supplémentaires, et d’autres où nous en travaillons presque deux en une.
Nous comblons nos temps libres par du camping sur la toundra, des soupers entre amis, des soirées jeux de société, des feux de camp, des ballades en quatre roues ou en motoneige. Personnellement, j’aime bien faire des tours à notre « Canadian Tire » local, le dépotoir. J’y récupère du bois, des pièces de véhicules récréatifs et plein d’autres petits trésors encore en bel état. Avec le bois ou les pièces récupérées, j’aime utiliser mon temps libre pour faire des meubles en bois ou pour réparer ma motoneige.
Que diriez-vous de vos collègues, ou du soutien que vous recevez, sur place ?
Je travaille avec des gens en or ! Et notre force est notre travail d’équipe. Nous sommes une équipe tissée assez serrée et nous nous réjouissons ensemble comme d’autres fois nous nous relevons les manches ensemble. Nos cheffes de service nous offrent un grand soutien et la confiance et le respect sont au sein de nos relations professionnelles.
Racontez-moi une anecdote ou un moment fort que vous avez vécu au travail.
Je me rappellerai toujours ce moment où on a dû intervenir auprès d’une fratrie nombreuse. Nous avons dû passer quelques nuits au bureau avec les enfants car nous n’avions pas de famille d’accueil pour eux. Un des enfants était excessivement apeuré, sur ses gardes, nous ne pouvions le regarder sans qu’il fasse non de la tête tout en pleurant, criant et se cachant. Nous pouvions encore moins l’approcher. Il refusait de manger, d’enlever son manteau. À un moment, il avait trébuché et s’était fait mal. Nous ne pouvions même pas l’approcher car il avait trop peur et nous fuyais. Je me suis donc mise à jouer avec une de ses sœurs aînées. Nous courrions autour d’un mur qui séparait la cuisine et le salon. Je me suis aperçue que la petite répétait chacun de mes mouvements. Quelques minutes plus tard, l’autre enfant s’est mis à suivre sa sœur qui me suivait. J’ai donc ajouté à cette course où nous avions certains obstacles à surmonter, une station nourriture. Chaque fois que je passais devant je prenais une bouchée. À leur tour la grande sœur et l’enfant en question faisaient de même. Ce jeu a continué un bout de temps et l’heure du coucher est arrivée. Cela m’a fait beaucoup réfléchir, toute cette peur dans le regard de cet enfant, sa méfiance, comme si son enfance, par les multiples traumatismes qui lui ont été imposés, lui avait été volée. J’étais contente au moins que tous aient été finalement nourris et qu’ils se soient un brin amusé malgré les circonstances. Aujourd’hui, trois ans plus tard, cet enfant est stable et l’étincelle a regagné ses yeux. Il me dit bonjour chaque fois que l’on se voit et j’ai même le droit à un câlin franc et spontané ! Cela me surprend encore aujourd’hui.
Avez-vous l’impression de réellement faire la différence ?
Je crois que l’anecdote ci-dessus répond à cette question amplement.
Je crois sincèrement que nous faisons une différence. Il y a ces fois où nous nous donnons corps et âme et où nous n’obtenons pas le résultat souhaité. Et il y a toutes ces autres fois où notre intervention a de l’impact et dont nous ne serons jamais au courant.
Avec le temps, on comprend aussi que nous ne sommes pas là pour sauver qui que ce soit. Notre travail vise à protéger, sécuriser, à mettre un terme à la situation de compromission dans lequel un enfant est à ce moment-là. Nous sommes là pour soutenir, offrir des ressources, accompagner, parfois pour enseigner, mais il est tout autant important de respecter le rythme de nos clients. De les accueillir dans ce qu’ils sont et là où ils sont. Ce, sans jugement et dans la bienveillance.
Maintenant, cette différence a quel impact, quelle ampleur ? C’est aux clients d’en juger. « Faire la différence » ne se passe pas toujours comme nous l’aurions espéré en début de carrière. Mais ce ne sera jamais nous qui ferons la plus grande différence dans la vie des enfants que nous côtoyons. Ce sont leurs parents et leur famille.
Quels avantages voyez-vous à travailler au Nord ?
La liste est longue. Il y a l’accès simple et rapide à une nature immensurable, la faune et la flore qui sont si différentes de ce à quoi nous sommes habitués. Il y a la découverte d’une culture riche, époustouflante et vivante. Le rythme de vie qui est différent. La création de nouvelles amitiés qui, avec le temps, deviennent la famille nordique. Il y a le partage de connaissances, de valeurs et de mœurs. Les vrais hivers bien enneigés, les longues nuits d’été ensoleillées, la transparence et l’honnêteté des gens d’ici, la simplicité des choses, le contact humain encore très présent. Ici, tout comme lorsque l’on était enfant, les gens n’ont pas de réseau cellulaire, au tour d’une table les gens se parlent entre eux. On n’appelle pas toujours avant d’aller voir un ami. On débarque et on entre tout simplement.
Êtes-vous satisfaite de votre choix d’emploi ?
Satisfait est un euphémisme. Je ne me vois pas ailleurs qu’ici.
Merci !